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Désigné généralement par un certain public sous le titre péjoratif de « graffiti », le street art acquiert aujourd’hui une considération nouvelle dans le paysage de l’art contemporain international. Au diapason avec l’environnement de la rue, l’exposition « Ride the Wall », forte du succès et de la confiance acquise lors de sa première édition, défie à nouveau cette controverse en présentant, du 5 au 26 juin à Genève, dans l’ancienne SIP, bâtiment significatif de l’architecture urbaine contemporaine en mutation, 22 artistes du monde entier que la pratique du Street art réuni en dépit de leurs singularités fortes. Dans un esprit d’avant-garde l’exposition, consciente du souffle qui la porte, aime faire référence au parcours de Jean-Michel Basquiat (1960-1988), marqueur le plus discuté de ce courant et interpelle par ses choix l’imaginaire du public sur la notion de la valeur artistique du genre. Au-delà des nombreuses résistances, en effet, une certaine marginalité protestataire, revendiquée ou non par ses acteurs, s’est depuis une soixantaine d’années montrée compatible avec une intention qui n’est pas si folle qu’on la croit puisqu’elle a su marquer la conscience de chaque ville et s'élever parfois au rang d’art.
« De l’origine… »
Si certains lieux n’ont fait allusion à la culture urbaine que de façon mineure, d’autres itinéraires ont en effet su montrer les traces engagées d’une appropriation de l’espace urbain, donnant au genre toute sa force et son enthousiasme actuel. De Berlin à New York, le street art a de fait souvent figuré en toile de fond d’un environnement qui n’aurait pas su se raconter honnêtement sans ces interventions. Histoires clandestines de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud, ces manifestations originales ont eu, avant la curiosité qui les touche, le mur, la paroi, la façade, comme medium signifiant d'un écart ou d'une prise de risque que « Ride The Wall » mentionne d’ailleurs dans son titre.
Dans notre imaginaire collectif, l’exemple le plus représentatif d’une telle appropriation artistique non sans conséquences reste encore aujourd’hui la chute du mur de Berlin en 1989 lors de l’effondrement du communisme. Le street art a su alors manifester le triomphe d’une unité politique et populaire retrouvée, faisant de la peinture et de la couleur une réponse esthétique à la soumission.
C’est aujourd’hui dans un esprit similaire que le mur contre l’immigration USA/Mexique, construit en 1937, fait l’objet de manifestations revendiquant une autonomie d'expression en lieu et place d’une obéissance qui craint le changement.
« Du chaos à la création... »
Depuis les années 1960 les manifestations de street art ne sont pourtant pas toujours vues d’un bon œil. La pratique du « tag", inscription urbaine ou simple signature, a souvent occulté le reste de la production et a été interprétée comme une dégradation urbaine agressive envers une esthétique collective. Rarement, elle a été distinguée des hommages faits par des acteurs conscients de la proclamation de leurs libertés. Il faut dire que le diktat pseudo-élitiste de nos sociétés n’a favorisé en rien l’essor du genre. C’est ainsi aux vues de projets engagés tels que "Ride The Wall", associant la pratique du street art et l’institutionnalisation que l’amalgame, subie par le grand public, peut cependant disparaître au profit d’une plus grande clarté de vue envers l’art urbain. De fait, à l’heure où toute sorte de débats sans issue voient le jour, entre responsabilité sociale et responsabilité culturelle de la démarche, les expositions de street art et « Ride The Wall » favorisent un accueil croisé ; celui offert à un public qui s’évade des institutions et celui offert à des artistes qui cherchent le lieu de leur reconnaissance.
Avec « Ride The Wall » 2015 (RTW2015), les nombreuses œuvres exposées offrent au public un aperçu quasi-objectif de la démarche street art aujourd’hui. Ben Thé, LeModuledeZeer, YZ, Matt Georges, BLO, Wozdat, Okuda, Shepard Fairey, Brokovich, Arto Saari, Tanc, Benjamin JeanJean, YGREK1, Benjamin Laading, Raphael Borer & Lukas Oberer, Rylsee, Jerôme Jean, Goddog, Jeremy Bernard, Stiv Dunand, L’Atlas, Goin sont autant d’expressions nouvelles qui portent en elles les références nombreuses de l’univers street art ; de l’engagement politique à l’engagement prudent envers soi-même. Ce sont dans ces démarches que l’on trouve aujourd’hui la véritable valeur d’une génération qui s’écoute et se raconte en partant d’un point, pour errer dans l’idée de découvrir non pas une solution mais de multiples propositions artistiques qui osent habiter le milieu urbain comme son envers.
« Du mythe… »
Ainsi, pour les motifs mentionnés, si les sentiments du street art tendent à l’autonomie, il y’ a sans doute très peu à chercher chez ces artistes, comme la critique l’a fait a posteriori pour Basquiat, une volonté d’être le héros ou le anti-héros d’un système artistique et médiatique. Il s’agit plus ici sans doute de témoigner d’une intelligence de la rue et d’une histoire collective qui ne raconte pas toujours la victoire mais bien l’errance, l’imprévisibilité, l’impertinence sage ou rebelle de chacun. Si le succès est si intense, c’est peut-être que les expositions street art tout comme l’esprit de « Ride The Wall » redonnent aux amateurs comme au public une liberté et une fureur expressive que l’exercice de la force cherche à occulter. -RTW2015, « Let’s make this fleeting moment last forever » ;) .
Ludovica Castracane
Diplômée des Lettres de l’Université de Genève et du Sotheby’s Institute of Art Institute of Art
“RIDE THE WALL” & LA VALEUR DU STREET ART
